Rue de Saint-Pierre. Photographie de J. Murray Jordan, 1898. Crédit : © Library of Congress

Saint Pierre avant 1902

Fondée en 1635, la ville de Saint-Pierre est située sur les routes maritimes reliant l’Europe aux Amériques. Elle est le principal entrepôt de la vieille colonie. Malgré la vulnérabilité de sa rade et le manque d’infrastructures portuaires, Saint-Pierre garde toute son attractivité nourrie par son propre dynamisme. Commissionnaires, négociants, commerçants, artisans, employés, ouvriers s’y concentrent et forment une société urbaine originale à laquelle se mêle une importante population mobile.

À la fin du 19ème siècle, Saint-Pierre est affaiblie économiquement et connait des mutations sociales amenées par l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 puis la mise en place de la IIIe République à la génération suivante.

Le débat politique s’impose dans l’espace public grâce à la mise en place du suffrage universel masculin et au développement de la presse, représentée par Les Antilles, Les Colonies ou La Défense coloniale. Les intérêts divergent et se cristallisent dans les années 1880 au travers de l’enjeu de l’École et de sa laïcisation. L’institution religieuse n’est pas épargnée. À l’approche des élections, les luttes partisanes sont féroces, entachées de tous les excès et la ville est leur théâtre.

La cathédrale. Vue prise le dimanche avant la catastrophe. Carte postale, Cunge, 1902. Fondation Clément, coll. Loïs Hayot, C014.01.227

L’éruption de 1902

L’île antillaise est confrontée depuis toujours à des tremblements de terre, raz-de-marée et cyclones dévastateurs. En 1902, la campagne des élections législatives bat son plein lorsque la montagne Pelée commence à montrer d’évidents signes d’activité, cinquante ans après ses dernières manifestations. Le volcan était alors considéré comme « une curiosité de plus ajoutée à l’histoire naturelle de la Martinique ».

L’entre-deux tours voit affluer à Saint-Pierre les premiers sinistrés du Prêcheur et des faubourgs tandis que les curieux vont observer le lac qui s’est formé à l’Étang Sec. En ville, le quotidien devient difficile et les affaires tournent au ralenti. Les passagers embarquant pour Fort-de-France sont chaque jour plus nombreux. Les écoles ferment. Le paroxysme semble être atteint le 5 mai lorsqu’une coulée boueuse emporte l’usine Guérin située à l’embouchure de la Rivière Blanche. L’opinion publique se manifeste, partagée entre incrédulité, inquiétude, et fatalisme. Une commission chargée « d’étudier les caractères de l’éruption » est nommée le 7 mai. Elle est composée du directeur de l’artillerie, du pharmacien-major des troupes coloniales, d’un sous-ingénieur des ponts et chaussées et de deux professeurs de sciences naturelles du lycée…

Saint-Pierre vue du Morne d'Orange après le 8 mai 1902. Photographie, Fabre, 1902. Fondation Clément, coll. Marcel Hayot, C033.0324

Les témoins de l’éruption paroxysmale du 8 mai 1902 décrivent une explosion violente suivie par une bourrasque brutale, une masse sombre de gaz et de vapeur sillonnée d’éclairs se dilatant en roulant sur le sol accompagnée d’une pluie de roches et de boue brûlante. En une minute, la nuée atteint Saint-Pierre qui s’embrase comme les bateaux encore à flot.

Le flanc ouest de la montagne Pelée est dévasté du Prêcheur à la Petite Anse du Carbet. Dans la zone centrale, toutes les constructions sont détruites. Il n’y a plus trace d’êtres vivants. Le chaos général, les incertitudes liées aux mouvements de population qui ont précédé la catastrophe, comme la surévaluation probable du nombre d’habitants recensés en 1901, rendent difficile le calcul du nombre de victimes, estimé, faute de mieux, à 28 000 personnes. Si ce chiffre semble aujourd’hui surestimé, il n’en reste pas moins considérable à l’échelle de la Martinique.

3 400 rescapés piégés au Prêcheur sont évacués par voie maritime les 10 et 11 mai tandis que l’exode de la population du Nord se poursuit au rythme des éruptions qui se succèdent. Les réfugiés affluent à Fort-de-France. On compte 20 000 sinistrés.

Les nouveaux villages. Fonds-Lahaye. Maisons construites pour les sinistrés. Carte postale 1902. Fondation Clément F014.02.103

Saint-Pierre 1902-1933

La disparition de Saint-Pierre conduit au basculement de l’activité portuaire et économique de l’île vers son chef-lieu Fort-de-France. On peut se demander si la catastrophe, et plus encore sa mémoire, n’ont pas accéléré une tendance perceptible dès la fin du XIXème siècle.

Son territoire est rattaché à la commune du Carbet à partir de 1910 alors qu’une nouvelle population réinvestit peu à peu les lieux. Saint-Pierre retrouve son autonomie administrative en 1923. On peut y recenser quatre ans plus tard 3250 habitants. Entre résilience, fatalisme et courage, la vie a repris ses droits et la menace du volcan semble désormais lointaine.

Les ruines attisent la curiosité des voyageurs. Le tourisme naissant est encore élitaire et essentiellement américain. Les objets recueillis au gré des déblaiements circulent, témoins dérisoires et combien précieux d’un monde disparu. Ils rejoignent souvent des collections privées quand ils ne sont pas conservés dans les familles. La réalité de la ville disparue se dissout progressivement dans le mythe nourri par la nostalgie de ceux qui l’ont connue.

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